Annie Ernaux, lauréate du prix Nobel

Par où commence-t-on à lire cette écrivaine française? Si vous êtes comme moi, vous ne lui avez pas accordé beaucoup d’attention avant qu’elle ne reçoive le prix Nobel de littérature en octobre 2022. Elle a amorcé son œuvre avec Les armoires vides, publié en 1974 en France, puis en 1990 en anglais sous le titre Cleaned Out; mais s’agit-il d’un bon point de départ pour qui ne connaît pas l’auteure? Il serait peut-être plus indiqué d’opter pour Les années, son autobiographie, qui a reçu le prix Marguerite-Duras en 2008 et a été présélectionné pour le prix Man Booker International en 2019 (The Years, traduit par Alison L. Strayer). Mais le fait d’en savoir trop sur elle influencerait-il votre lecture de ses autres livres? Il est sûrement tentant de commencer par Les années, car presque tout ce qu’elle a écrit traite d’un événement important de sa vie : la mort de son père et de sa mère, l’avortement illégal qu’elle a subi en France dans les années 1960, ses premières expériences sexuelles… Mais trois membres du comité de littérature de l’Académie suédoise recommandent de commencer par L’événement, La place ou « Je ne suis pas sortie de ma nuit ».

L’événement est un récit autobiographique d’Annie Ernaux. À vingt-trois ans dans la France des années 1960, célibataire, elle découvre qu’elle est enceinte. La honte la ronge comme la peste. Comprenant que sa grossesse les marquera, elle et sa famille, comme des parias, elle sait qu’elle ne peut pas garder l’enfant. Dans une France où l’avortement est illégal, elle tente, en vain, de le pratiquer elle-même avec une aiguille à tricoter. Effrayée et désespérée, elle finit par trouver une faiseuse d’anges et se retrouve aux urgences d’un hôpital où elle frôle la mort. Dans L’événement, Ernaux passe au crible les souvenirs et notes consignés dans son journal intime de l’époque. Avec clarté et netteté, elle glane les significations de son expérience.

La place est un roman biographique portant sur le père d’Annie Ernaux. Il est mort exactement deux mois après qu’elle eut passé son examen pratique pour obtenir un brevet d’enseignement. Peu instruit et apprécié depuis l’enfance uniquement pour son travail, le père d’Annie Ernaux était devenu un homme dur et pragmatique qui témoignait peu d’affection à sa famille. Racontant sa lente ascension vers le confort matériel, l’observation froide d’Ernaux révèle la honte qui a hanté son père tout au long de sa vie. Elle examine minutieusement l’importance qu’il accordait aux manières et au langage, qui paraissaient si peu naturels à cet homme qui luttait pour subvenir aux besoins de sa famille en tenant un café-épicerie dans la France rurale.

« Je ne suis pas sortie de ma nuit » évoque de façon extraordinaire l’attachement d’une fille adulte à sa mère, ainsi que la force et la résilience de ces deux femmes. Ce livre retrace d’abord les efforts d’Annie pour aider sa mère à se remettre de la maladie d’Alzheimer, puis, lorsque cela s’avère vain, témoigne du déclin progressif de la vieille dame et de sa propre expérience de fille qui perd un parent bien-aimé.

Anders Olsson, président du comité Nobel, décrit l’œuvre d’Ernaux comme étant « sans compromis et écrite dans un langage simple, sans fioritures », ajoutant que « lorsqu’elle révèle avec beaucoup de courage et une acuité clinique la souffrance issue de l’expérience de classe, décrivant la honte, l’humiliation, la jalousie ou l’incapacité à voir qui vous êtes, elle accomplit quelque chose d’admirable et de durable ».

Avec ces recommandations, j’espère que vous saurez comment aborder l’œuvre de cette lauréate du prix Nobel (voir ci-dessous la liste des titres qu’on trouve à la BPO). Pour ma part, je commencerai par L’événement et je me réjouis de lire bientôt ces nombreux livres émouvants et riches d’enseignements.